lundi 24 août 2009

Ma troisième semaine : changer de peau ?















































Me voici arrivé au terme de ma troisième semaine au Congo. Je suis toujours en vie. Je découvre chaque jour un peu plus ce pays. Je me pose beaucoup de questions du genre : comment peuvent-ils vivre comme-çà, pourquoi fonctionnent-ils comme-çà, pourquoi suis-je comme je suis, qu’est-ce que je « fous » là... Je tente de me faire une nouvelle peau pour mieux me couler dans ce monde si différent...

Liquides

A propos de « couler » parlons un peu des choses, plutôt liquides, grâce auxquelles j’arrive à couler des jours « paisibles » :
- le voltarène en crème (merci Michel), sans lequel mon tibia et mon pied gauches seraient encore endoloris (suite à l’agression de ce jeune voyou qui tentait de me voler mon tél. portable sur la plage...) ; sans lequel j’aurais encore très mal au dos (à la fin de la 2° quinzaine la pression que j’avais accumulée depuis le départ s’est manifestée comme d’hab. par un dos un peu cassé que je cache aux autres en me tenant le plus droit possible...)
- la caféine (du café déshydraté Nestlé) qui me donne la pêche pour terminer la journée, et qui je suis sûr, m’aide à lutter contre les moustiques et la déprime
- le whisky (1/2 gorgée par jour) qui ouvre et lave mon estomac
- la radio (ce n’est pas liquide mais il y a des ondes) : RFI, RFI et encore RFI : c’est la seule radio d’infos, comme par hasard non congolaise, donnant des infos crédibles sur le Congo et l’Afrique que je parviens à capter avec mon petit poste à 6000 FCA acheté au Grand Marché
- l’eau minérale en bouteille plastique « Mao », indispensable pour se réhydrater (le taux d’humidité est très fort et dès que l’on s’agite un peu on transpire facilement...), et pour se laver les dents en toute sécurité
- ... et last but not least les bidons d’eau de 25 litres (voir la photo) et mes seaux sans lesquels je ne pourrais pas me laver (il n’y a pas d’eau courante). Ces bidons sont lourds et excessivement difficiles à manipuler (j’en verse souvent des tonnes à côté : heureusement qu’Aymé, le préposé au nettoyage, me bichonne un peu). J’ai dû apprendre et mettre en œuvre toute une nouvelle gestuelle pour faire ma toilette sans me faire mal au dos : j’ai des seaux de différentes tailles, etc... Si ce n’était pas particulièrement « chiant » çà pourrait être drôle.
- ... sans oublier une petite bière de temps en temps (une « Primus » - c’est le nom de la bière locale – ou une autre moins congolaise), mais assez rarement dans la pratique.











Acclimatation du "Mundélé" (le blanc) à l’environnement quotidien

Je m’habitue petit à petit à l’environnement congolais. Le plus difficile c’est celui de la rue : circulation, bruit, fumées, poussière, ordures sur les trottoirs, foule (il y a du monde partout, et quand il n’y en a plus il en sort de partout ; si on rajoute le sable et les détritus, il est très difficile de se promener sans sortir mille fois de sa trajectoire...).
J’ai mentionné le bruit. Parlons-en. En ce moment l’évêché fait construire par un tiers* un immeuble de trois étages tout près de l’immeuble où je réside. Les dalles entre les étages ne peuvent être faites que la nuit (pour éviter d’éventuels coups de chaleur excessive, préjudiciables à la pose, si le soleil se montre trop). Ils ont travaillé nuit et jour tout le week-end. Heureusement j’ai des boules quies.
Donc, un environnement agressif pour les « mundélés » délicats comme moi. Mais je pense que je vais m’y faire de mieux en mieux.
(*) Construire sur un terrain (parcelle) qui ne vous appartient pas, mais avec l’accord du propriétaire bien entendu, est une pratique assez courante ici, du fait de la pression immobilière et du manque de terrains... En l’occurrence ce sont des commerçants indiens qui construisent un immeuble qui sera à terme la propriété du diocèse. L’intérêt du système pour le diocèse c’est qu’une fois construit l’immeuble génère des loyers pour l’occupant qui a pris en charge la construction, loyers qui viendront en compensation des mensualités payées par le diocèse pour acheter l’immeuble...Pour les indiens c’est la possibilité de disposer de locaux neuf sur un emplacement intéressant...

Personnages de l’évêché

Quelques mots sur les personnages de l’évêché.
A par moi, les nièces (elles reprennent l’école en octobre) et le neveu (qui travaille à l’imprimerie) de l’évêque, il y a, dans l’entourage immédiat de ce dernier, deux personnes.

D’une part le secrétaire général épiscopal - l’abbé Daunat Michel, un prêtre très sympa et très ouvert. Il est originaire de la RDC (Congo Kinshasa). Il s’occupe en principe de toutes les questions pastorales en relation avec le vicaire général (qui est rarement sur place).

L’autre personnage important est l’abbé Ange, le procureur. C’est un congolais pur jus, assez sympa également, très rusé et débrouillard. Il est très proche de l’évêque dans la mesure où ce qu’il fait touche au nerf de la guerre, l’argent : la gestion des achats et des services, la gestion immobilière, le choix et le paiement des fournisseurs, le paiement des honoraires de messe des prêtres, la gestion des comptes-courants de toutes les personnes qui n’ont pas de comptes en banque (ici la plupart des gens n’ont pas de compte-chèques !), le paiement des petites dépenses quotidiennes, l’encaissement des frais de scolarité (le diocèse possède un petit séminaire qui va de la sixième à la troisième), etc. C’est un type très pragmatique qui connait et utilise les milles rouages souvent corrompus du système. Il fonctionne à vue. A l’évidence il n’aime pas la paperasse et les dossiers. En fait il n’est pas formé pour ce qu’il fait. Il a tout appris sur le tas. tout fonctionne empiriquement, plus ou moins bien. L’ennui c’est que lui seul sait comment çà fonctionne et personne ne peut réellement contrôler globalement ce qu’il fait...

L’avenir dira comment s’opéreront la coexistence et la complémentarité entre l’abbé Ange et moi...

Parmi les personnes qui approchent l’évêque quasi quotidiennement, il y a, outre l’abbé Daunat et l’abbé Ange, des personnes extérieures, comme le colonel de la police spécialisé dans les démarches administratives. Je ne connais pas encore son rôle exact. Je sais cependant que l’évêque a souhaité que je lui montre mon passeport. Ce que j’ai fait. Le colonel m’a dit que tout était en règle. Comme je dois demander le renouvellement de mon visa tous les trois mois, le colonel m’a dit qu’il s’occuperait de tout... Voilà je mets le doigt dans l’engrenage du système des passe-droits...

En dehors de Daunat, Ange et moi il n’y a pas de permanents à un niveau de responsabilité important à l’évêché.
Patou est le chauffeur de l’évêque. C’est aussi mon chauffeur s’il est disponible. C’est un homme de confiance, qui néanmoins a un petit faible pour la bière... Il est très sympa. Il m’a amené l’autre jour à Mazra, une jolie plage flanquée d’une mangrove transformée en musée naturel où j’ai pu voir des milliers de crabes et d’animaux amphibies divers ainsi que des centaines d’ibis.
Martin est le veilleur de nuit. Il a 4 enfants et une femme ; il est employé depuis 12 ans à l’évêché. Il gagne 75000 Francs CFA par mois (114 Euros !). Pas étonnant qu’il soit le responsable syndical local (adhérent au CSC, Confédération des Syndicats Congolais). Au passage je signale que 75000 F CFA c’est aussi le montant des honoraires de messe reversé à chaque prêtre mensuellement par l’évêché. Il ne faut pas s’étonner dans ces condition, s’ils cherchent de solutions diverses et variées pour arrondir leurs fins de mois !
Zacharie, également salarié à 75000, s’occupe de la lessive et du repassage qu’il effectue dans un des garages de l’évêché. Il repasse bien. Mais je trouve que sa lessive est trop agressive (je vais lui conseiller « Cajoline »).
Aymé, troisième salarié à 75000, s’occupe, lui, du nettoyage. C’est lui, par exemple, qui balaie ma chambre et passe la serpière sur le sol (du ciment recouvert d’une peinture rouge délavée).
Ben-Laden est le porteur d’eau (son prénom c’est Serge, mais tout le monde l’appelle ainsi : je ne sais pas encore pourquoi). Celui qui va chercher l’eau dans la citerne et la distribue dans les chambres, les cuisines et les toilettes/douches collectives. C’est de mon point de vue celui qui a le travail le plus essentiel et le plus difficile à réaliser. Son absence provoquerait l’effet d’une bombe (d’où son nom ? Je blague). Je ne sais pas si vous réaliser : essayez de pousser une brouette contenant 4 ou 5 bidons de 25 litres sur du sable, essayez de monter un étage d’escalier avec un bidon de 25 litres dans chaque main...Ce type a une colonne vertébrale en or !
Le reste du personnel est constitué de femmes : une sœur, qui ne sert pas à grand chose (mais c’est l’œil de Moscou : elle passe la moitié de son temps à regarder la TV dans la salle où mangent les prêtres de passage...) et trois cuisinières (Ma Te-Te fait la cuisine pour l’évêque et sa table, donc aussi pour moi ; Alphonsine (Alpha pour les intimes) et une autre dame font la cuisine pour le personnel et les prêtres de passage...
Parmi les non permanents je veux citer Anicet (je m’entends très bien avec lui), un stagiaire du grand séminaire de Brazzaville qui est l’homme de confiance de tout le monde ici et qui s’acquitte des tâches logistiques les plus variées... J’en ai déjà parlé dans un précédent feuilleton. Donc je passe...

Mon rôle ?

Il n’y a pas à proprement parler d’économe (celui qui supervise les finances, la gestion et la comptabilité). L’abbé Ange fait du concret et le comptable fait de la compta. Mais personne entre les deux ne maîtrise ni ne contrôle vraiment le système empirique qui s’est mis en place, même pas l’évêque qui fait mille choses dans une journée. L’informatique est présente mais trop de choses à la procure se font à la main.

La comptabilité est tenue depuis une dizaine d’année (avant c’était le néant) par un petit cabinet extérieur qui ne donne pas vraiment satisfaction à l’évêque... Celui-ci voudrait mettre en place une vraie gestion comptable « aux normes » de l’Église, et un contrôle interne, à l’instar de ce qui se pratique en France depuis une bonne dizaine d’années. Pour l’instant la gestion existante est très déficiente (sauf en ce qui concerne la manipulation de l’argent : entrées et sorties de caisse...) et la visibilité économique et financière est quasi-nulle. Je parcours en ce moment les comptes annuels : ce n’est pas clair du tout.
Je pense que l’évêque a raison de vouloir sortir du système « merdique » actuel - il n’est jamais trop tard et puis je pense que Rome commence à se poser beaucoup de questions - mais je me demande s’il ne rêve pas un peu. Il faut d’abord qu’il se change lui-même et ensuite il faut faire les choses pas à pas. C’est cette recette de ce « pas à pas » dans une direction énergiquement tracée que j’aimerais trouver avec lui...

Il est évident que mon rôle ici, qui se dessine peu à peu, va tourner autour de cette nécessaire visibilité, de la rigueur, du contrôle et, surtout, de l’optimisation des ressources et des emplois. Les paroisses constituent les gisements de ressources les plus importants. Certaines sont très riches. Mais beaucoup de curés trichent et ne font pas remonter l’argent au diocèse (je précise pour ceux qui ne le sauraient pas que la règle de l’Église veut que l’argent soit intégralement remonté et redistribué au prorata du nombre de prêtres dans chaque paroisse, et ce pour aider les paroisses les plus pauvres (péréquation)).
Dans les prochains jours on va faire venir les représentants de tous les conseils économiques et des conseils pastoraux des paroisses du diocèse. Il y aura au moins une centaine de personnes. Le but de la manœuvre est de leur présenter un projet de nouvelle gestion comptable des paroisses à la française. Je pense que cette présentation est prématurée. Quand on sait que l’on part de zéro ou presque, on ne peut être que sceptique quant aux changements effectifs dans les comportements. Mais il faut bien commencer, et c’est, en tout cas, pour çà que je suis là. Donc il va falloir qu’ils s’y collent ces bons curés congolais. Et moi avec eux. Ne vous méprenez pas. Je ne suis pas un comptable, loin de là, mais le plus important ce n’est pas la technique (on trouvera toujours des techniciens, des logiciels et des machines), mais l’esprit et la volonté de changer les pratiques floues, les comportements corrompus et égoïstes...et l’injustice. Il y a loin entre les conditions d’un prêtre de Pointe-Noire qui roule en 4x4 et celle d’un prêtre de la brousse (par exemple l’abbé Serge, mon homonyme, dont le village est à une journée de taxi + 24 heures de pirogue + 12 heures de marche dans la forêt)...

Œuvres et Causes (genre « facebook » mais en vrai, dans la réalité)

La semaine passée j’ai fait pas mal de visite à l’extérieur, dans des paroisses ou des œuvres du diocèse. Parmi ces dernières je veux citer le Centre des Mineurs (voir photo) et le Centre Polio (voir photo).
Le premier s’occupe de la réinsertion des mineurs par l’apprentissage d’un travail (réparation automobile, menuiserie, plomberie-tuyauterie-chauffage...). Ils sont 14 jeunes en ce moment. Ce sont des enfants de la rue, abandonnés, qui n’ont jamais été à l’école. Ils arrivent vers l’âge de 12 ans et repartent vers 17 ans avec un métier en poche...Hélas on ne leur dispense aucun cours scolaire...
Le second abrite deux communautés de bonnes sœurs (des thérésines et des sacramentines) et surtout un centre de soin pour handicapés moteurs (voir photo des tarifs).
Le diocèse a, notamment au travers des paroisses, d’autres œuvres humanitaires comme celles-ci, et notamment plusieurs dispensaires (avec un ou deux infirmiers et dans le meilleur des cas un docteur) dans les zones rurales (brousse) où les conditions de vie sont difficiles et où le niveau sanitaire est très faible.

La semaine écoulée, j’ai également rencontré, dans leurs locaux, les représentants de l’antenne congolaise « Justice et Paix » qui œuvre pour la défense des Droits de l’Homme et pour la Paix (Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme). Ils éditent en principe un rapport annuel sur le Congo que je leur ai demandé, mais j’attends toujours...
L’évêque s’intéresse beaucoup à cette activité. Je trouve qu’il est courageux, car ici, les atteintes aux droits de l’homme sont monnaie courante, nombreux sont les gens emprisonnés sans raison et sans jugement, le trafic d’enfants est banal, les compagnies pétrolières et les exploitants forestiers font la pluie et le beau temps et polluent un maximum au détriment de la santé des habitants, etc...

Week-end 22-23 août










Samedi dernier j’ai accompagné l’évêque au lac de Mbanga (au sud de Pointe Noire, à la frontière du Cabinda) où il a rencontré les représentants laïcs des paroisses du diocèse venus faire leur sortie annuelle sur ce site magnifique. C’est un immense et beau lac, rempli de petites bêbêtes (style caïmans...) et que l’on peut parcourir en pirogue (je suis resté à terre : pas folle la guêpe). Nous avons mangé avec tous les « pèlerins ». L’ambiance était détendue, bon enfant, la bouffe sympa (cf. photos), et la bière coulait à flot... Beaucoup de ponténégrins viennent pique-niquer dans le secteur (il faut tout de même posséder un véhicule tout terrain : la route est mauvaise). Seul ombre au tableau : dès qu’un congolais séjourne dans la nature il laisse des détritus (sacs plastiques, mouchoirs en papiers, canettes..) derrière lui. Imaginez ce que çà donne dans un lieu très visité...
Dimanche : messe dominicale à Notre Dame (l’occasion de croiser le Tout Pointe-Noire endimanché, souriant et coloré) et visites de deux paroisses l’après-midi : Christ-Roi (la paroisse du vicaire général qui nous a accueilli et fait visiter les lieux : c’est de loin l’église la plus riche et la mieux équipée du diocèse : climatisation, vidéo, cloches électriques, chambres et salles de réunion super-top...) et Saint Christophe, la paroisse d’origine de l’évêque.










Suite dans le prochain numéro (il faut que je me plonge dans les comptes annuels du diocèse et dans l'étude du droit canonique...). Bisous à tous.


















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Par avance un grand merci pour vos commentaires et messages. Serge Guégan. Pour me joindre : serguegan51@gmail.com